Ces médicaments qui déclenchent des orgasmes spontanés
Quand Harry rencontre Sally (When Harry Met Sally, 1989) @ YouTube
On a tous en mémoire la scène de l’orgasme simulé par l’actrice Meg Ryan dans le film Quand Harry rencontre Sally. Un orgasme d’anthologie avec cris, hurlements et cheveux en bataille ! Une longue minute de fausse extase devant l’assistance médusée d’un restaurant new-yorkais du Lower East Side où Harry et Sally déjeunent. On se souvient aussi de la sublime réplique d’une femme assise à la table d’à côté qui demande au serveur : « I’ll have what she’s having » (« Donnez-moi la même chose qu’elle »). Maintenant, imaginez qu’un médicament ait pratiquement le même effet à ceci près qu’il survient à un moment inopiné. Plutôt gênant…
Des sexologues et neurologues taïwanais ont répertorié la totalité des cas d’orgasmes spontanés sous médicament publiés dans la littérature médicale. Ils rapportent, dans un article paru en ligne le 1er décembre 2017 dans la revue Clinical Neuropharmacology, avoir identifié 25 individus (18 femmes et 7 hommes) ayant eu un orgasme spontané en lien avec la prise d’un médicament. La moitié de ces patients était sous traitement antidépresseur.
Le dernier cas publié est justement rapporté par cette équipe, dirigée par le Dr Wei-Hsi Chen de l’université Chang Gung (Kaohsiung, Taïwan). Il concerne un ouvrier de 46 ans souffrant de dépression, marié depuis 12 ans et père de deux enfants. Deux ans auparavant, il a été victime d’un traumatisme crânien lors d’un accident de voiture. Selon sa femme, il fonctionne au ralenti et sa mémoire décline. Il présente des idées suicidaires. Par ailleurs, il souffre d’impuissance, montre un désintérêt pour le sexe et a diminué la fréquence des rapports sexuels avec son épouse.
Deux semaines après la mise en route d’un traitement antidépresseur, cet homme a eu un à trois orgasmes spontanés par jour, d’une durée d’environ une minute. Leur intensité était légèrement supérieure à la moitié de celle d’un orgasme habituel. Les orgasmes ne s’accompagnaient ni d’une augmentation de la libido, ni d’une érection, ni d’une éjaculation. Lorsque le patient a, de sa propre initiative, arrêté de prendre l’antidépresseur, les orgasmes ont cessé en 48 heures. Ils sont réapparus le lendemain lorsque le patient a repris son traitement. Cet homme a ensuite repris puis interrompu trois fois son traitement antidépresseur, ce qui a provoqué à chaque fois la réapparition puis la disparition des orgasmes spontanés. Dans la mesure où une crise d’épilepsie peut provoquer un orgasme, le patient a passé un électroencéphalogramme. Celui-ci ne présentait pas d’anomalie. De même, le taux sanguin de testostérone, hormone sécrétée par les testicules, était dans des valeurs normales. Le patient étant délirant, un traitement par antipsychotique a été débuté, sans que cela ait le moindre effet sur la fréquence et l’intensité des orgasmes spontanés. L’antidépresseur trazodone fut finalement remplacé par un autre (venlafaxine), ce qui permis de contrôler l’humeur du patient. Depuis le changement de traitement, cet homme n’a plus eu d’orgasme spontané.
Les auteurs précisent que l’âge des 25 patients ayant vécu cette curieuse expérience se situe entre 20 et 74 ans. Au total, 60 % d’entre eux avaient moins de 50 ans.
Absence d’excitation sexuelle dans la moitié des cas
Le désir sexuel était absent dans 66 % des 21 cas évalués (sur les 25 répertoriés). De même, une absence d’excitation sexuelle a été rapportée dans 47 % des cas (sur 19 évalués sur ce critère). Les auteurs soulignent qu’un désir et une excitation sexuelle étaient associés à un orgasme spontané dans 6 cas seulement. Enfin, dans 8 cas, un orgasme est survenu de façon inopinée en l’absence de désir et d’excitation sexuelle.
Les femmes ont ressenti plus souvent que les hommes un désir ou une excitation sexuelle (80 % contre 20 %). Une éjaculation ne s’est produite que chez la moitié des hommes présentant un orgasme spontané.
Sur les 25 patients identifiés, 15 ont eu une seule extase sexuelle sous traitement. Un patient, un avocat de 37 ans, a présenté des orgasmes qui se succédaient de près. Il était traité par bupropion pour un trouble de déficit de l’attention. Il remarqua rapidement une amélioration de ses capacités de concentration et d’attention, tout en notant une augmentation de sa libido et la survenue intempestive d’érections dans la journée. Six semaines après la mise en route du traitement, il éprouva un second orgasme au cours d’un rapport sexuel. Il eut ainsi deux éjaculations avec orgasme en l’espace de cinq secondes, ce qui ne lui était jamais arrivé. Il arrêta de lui-même de suivre son traitement tant cette augmentation de libido le mettait mal à l’aise. Son désir revint à la normale en quelques jours. Plusieurs mois plus tard, il reprit son traitement par bupropion et de nouveau commença à noter une augmentation de la libido et eut, encore une fois, une seconde éjaculation avec orgasme lors d’un rapport sexuel. Il arrêta de prendre son médicament et n’eut plus d’orgasme spontané par la suite.
En baillant ou en marchant
Une patiente, traitée pour dépression, a eu un orgasme prématuré au cours d’un rapport sexuel. Cinq patients sous traitement ont atteint le septième ciel alors qu’ils étaient en train de marcher, faire de l’exercice, bailler ou dormir.
Chez 6 des 25 patients identifiés, l’intensité de l’orgasme intempestif a été spécifiquement évaluée. Celle-ci était plus importante que celle d’un orgasme habituel dans trois cas, inférieure dans deux cas et identique dans un autre cas.
Qu’en est-il de la fréquence de ces orgasmes prématurés sous médicament ? Ce paramètre a été évalué chez dix patients. Sept d’entre eux ont eu six orgasmes par jour. Cela a notamment été le cas pour une femme de 36 ans traitée pour hypersomnie et une patiente de 53 ans recevant une chimiothérapie pour un cancer du sein. Deux patients ont ressenti un orgasme entre 7 et 15 fois par jour. Une femme de 74 ans, traitée pour dépression, a en eu entre 5 et 45 fois par jour, avec un intervalle de 15 à 30 minutes entre chaque sensation orgasmique.
Dans huit cas, la durée de l’orgasme a été évaluée. Chez six patients, elle était inférieure à une minute. Elle était comprise entre 15 et 30 minutes chez un autre. Une femme, âgée de 62 ans, a connu un orgasme une heure après la prise du médicament (lorazépam). A deux reprises, elle a éprouvé un désir grandissant avant d’avoir une sensation orgasmique montant des cuisses vers la zone génitale, de même intensité que lors d’un rapport sexuel.
Un orgasme de trois heures
Quel que soit le mécanisme neurologique qui sous-tend la survenue d’un tel phénomène (lire encadré), une chose est sûre, me déclarent les docteurs Wei-Hsi Chen et Kuo-Yen Chen, « tous les patients et patientes n’apprécient pas d’avoir un orgasme spontané. C’est déroutant et embarrassant. Cela a été le cas pour une Israélienne de 35 ans traitée par mirtazapine pour dépression et qui avait 5 à 6 orgasmes par jour ». Et que dire de cette Américaine dépressive de 35 ans qui, six semaines après avoir pris un antidépresseur (bupropion) en plus de son traitement habituel (sertraline), éprouva de façon soudaine un orgasme qui dura trois heures. Quand l’extase débuta, elle était en train de faire ses courses… La patiente décida d’arrêter immédiatement le bupropion. Une semaine plus tard, quand elle reprit ce traitement, elle eut le surlendemain un nouvel orgasme spontané prolongé. Les fonctions sexuelles revinrent à la normale trois semaines après l’arrêt complet du médicament.
Les orgasmes spontanés ne sont pas les seuls effets secondaires de nature sexuelle pouvant apparaître sous traitement. Comme j’ai eu l’occasion de le relater dans un précédent billet, certains patients traités par agonistes dopaminergiques pour une maladie de Parkinson peuvent présenter une hypersexualité, conséquence d’un trouble du contrôle des impulsions. Le traitement les rend alors accro au sexe.
Pour conclure, lorsque survient un effet secondaire portant sur les fonctions sexuelles ou un comportement anormal en lien avec la sexualité, il importe que le patient ou la patiente, voire son conjoint, en parle au médecin afin que celui-ci puisse, si cela s’avère nécessaire et possible, adapter ou modifier le traitement. Mais encore faut-il savoir que les effets secondaires sexuels des médicaments sont fréquents* et qu’ils doivent être systématiquement recherchés par le médecin chez un homme ou une femme se plaignant de dysfonction sexuelle.
Marc Gozlan (Suivez-moi sur Twitter)
* troubles de l’éjaculation (dont absence d’éjaculation), troubles de l’orgasme et du désir dans les deux sexes, abolition ou diminution du désir sexuel chez l’homme et la femme, dysfonction érectile, sensation douloureuse vulvo-vaginale gênant ou empêchant tout rapport sexuel (dyspareunie), sécheresse vaginale, priapisme (érection prolongée, souvent douloureuse).
Les médicaments impliqués
Chez 16 des 25 patients identifiés dans la littérature internationale, le médicament en cause était un antidépresseur. Le cas rapporté par les sexologues taïwanais concerne un patient traité par trazodone, antidépresseur non disponible en France.
Deux patients étaient traités pour trouble bipolaire. Les autres malades suivaient un traitement pour paranoïa, trouble du déficit de l’attention (hyperactivité, impulsivité, déficit attentionnel), maladie de Parkinson, dystonie (trouble du tonus musculaire), hypersomnie, insomnie, cancer du sein. Parmi les médicaments ayant provoqué un orgasme spontané, les auteurs ont identifié dix médicaments antidépresseurs, deux antipsychotiques, trois agonistes dopaminergiques (prescrits dans la maladie de Parkinson), une benzodiazépine, une association de trois médicaments anticancéreux, ainsi qu’un psychostimulant utilisé dans le traitement de l’hypersomnie.
Les médicaments liés à la survenue d’un orgasme en baillant, en marchant, en pratiquant une activité physique, en dormant, étaient la trazodone, la fluoxétine, la venlafaxine, et la clomipramine. Lorsqu’un de ces médicaments provoquait un orgasme chez un patient lors d’une de ces tâches spécifiques, celui-ci n’en ressentait pas d’autre en dehors de ce contexte particulier. Ainsi, un patient qui avait ressenti des orgasmes en baillant n’en a jamais eu quand il ne baillait pas.
Antidépresseurs et antiparkinsoniens
Dans 92 % des cas, deux types de traitements étaient responsables d’orgasmes spontanés : les antidépresseurs et les agonistes dopaminergiques. Ces derniers sont utilisés dans la maladie de Parkinson pour stimuler la fabrication de dopamine afin de remplacer celle que les neurones détruits par la maladie ne fabriquent plus. Les antidépresseurs et agonistes dopaminergiques ont en commun de faciliter la neurotransmission de la sérotonine (ou 5HT), soit en augmentant les concentrations de ce neurotransmetteur dans les synapses (zones de contact entre neurones), soit en stimulant certains récepteurs cérébraux (5HT1A) ou, au contraire, en inhibant les récepteurs 5HT2A ou 5HT2C.
Les auteurs précisent ne pas avoir trouvé de corrélation significative entre le type du médicament, l’intensité, la fréquence ou la durée de l’orgasme.
Le délai entre la prise du médicament incriminé et la survenue de l’orgasme spontané était très variable. Sept orgasmes ont eu lieu dans les sept jours après le début du traitement, tandis que neuf se sont produits dans un délai de huit jours à un mois. Deux sont survenus un à trois mois après la prise du médicament. Enfin, un orgasme est intervenu après un an de traitement.
Les orgasmes ont définitivement cessé à l’arrêt du traitement chez 20 patients. Chez les 5 autres, ils ont disparu après réduction des doses, dans un délai de deux jours à trois semaines selon les cas.
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Pour en savoir plus :
Chen WH, Chu YH, Chen KY. Drug-Associated Spontaneous Orgasm: A Case Report and Systematic Review of Literature. Clin Neuropharmacol. 2017 Dec 1. doi: 10.1097/WNF.0000000000000259
Uca AU, Kozak HH. A case of rasagiline-induced spontaneous orgasms in a female patient. Parkinsonism Relat Disord. 2014 Aug;20(8):929-30. doi: 10.1016/j.parkreldis.2014.04.004
Giulianoa F, Droupy S. La iatrogénie médicamenteuse en médecine sexuelle. Prog. Urol. 2013 Jul;23(9):804-10. doi: 10.1016/j.purol.2013.01.008
Kilickap S, Kesikli SA, Erdis E, Yucel B. Chemotherapy-induced spontaneous orgasms in a patient with breast cancer. Ann Pharmacother. 2012 Jan;46(1):144-5. doi: 10.1345/aph.1P666
Shalev H, Ben-Zion I, Shiber A. A case of mirtazapine-induced spontaneous orgasms in a female patient. J Psychopharmacol. 2009 Jan;23(1):109-10. doi: 10.1177/0269881107083847
Pae CU, Kim TS, Lee KU, Kim JJ, Lee CU, Lee SJ, Lee C, Paik IH. Paroxetine-associated spontaneous sexual stimulation. Int Clin Psychopharmacol. 2005 Nov;20(6):339-41. PMID: 16192845
LIRE aussi : Quand l’orgasme rend malade
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