Trump, l’Amérique sans filet
La fête pour les uns, un cauchemar pour les autres. Jamais, dans l’histoire moderne des Etats-Unis, l’investiture d’un nouveau président n’avait à ce point divisé les Américains. Ce vendredi vers midi, Donald J. Trump deviendra officiellement le 45e président de la première puissance mondiale, succédant à Barack Obama. Dans la matinée, les deux hommes doivent d’abord se retrouver à la Maison Blanche avant de prendre la route du Capitole en compagnie de leurs épouses.
C'est là, sur les marches de la façade ouest du Congrès, face au célèbre Mall, que le vice-président Mike Pence puis Donald Trump prêteront serment sur la Bible. Le président sera investi par John Robert, le chef de la Cour suprême, qui lui fera répéter le serment débutant par ces mots : « I, Donald Trump, do solemnly swear.» «Moi, Donald Trump, je jure solennellement de remplir fidèlement les fonctions de président des États-Unis, et, dans toute la mesure de mes moyens, de sauvegarder, protéger et défendre la Constitution des États-Unis. Que Dieu me vienne en aide.»
Une fois investi, Donald Trump prononcera son adresse inaugurale à la nation, un discours pour l’histoire souvent mis à profit par les présidents pour marquer les esprits. Lors de sa seconde prestation de serment, au lendemain d’une guerre civile dévastatrice pour les Etats-Unis, Abraham Lincoln avait lancé un appel vibrant à la réconciliation : « Sans malice pour personne, pleins de charité pour tous […], travaillons à finir notre ouvrage, à cicatriser les blessures de la nation. N’oublions pas ceux qui ont affronté les batailles, et leurs veuves, et leurs orphelins. » Dans un pays ravagé par la Grande Dépression, Franklin Roosevelt avait prononcé cette phrase souvent reprise, depuis, par les candidats en campagne : « La seule chose dont nous devons avoir peur, c’est la peur elle-même .» Quant à John F. Kennedy, il avait eu cette formule : « Ne demandez pas ce que votre pays peut faire pour vous, demandez ce que vous pouvez faire pour votre pays. »D’après des sources au sein de son équipe, Trump a écrit seul son discours inaugural. Une intervention qu’il aurait souhaitée «courte et percutante».
Homard du Maine
Dès la fin de la cérémonie, le futur ex-président Obama devrait rejoindre la Maison Blanche, qu’il quittera définitivement vers 14h30 (20h30 en France) à bord d’un hélicoptère. Le couple Obama s’envolera ensuite pour des vacances à Palm Springs (Californie). Pendant ce temps, Donald et Melania Trump participeront au traditionnel déjeuner d’investiture au Congrès. Rien de très original au menu : homard du Maine et crevettes du golfe du Mexique à la sauce safran, bœuf de Virginie dans un jus chocolaté aux baies et soufflé au chocolat accompagné de glace vanille. Outre les familles Trump et Pence, les leaders du Congrès, les juges de la Cour suprême et les membres du futur cabinet devraient participer au déjeuner. Le repas terminé, les couples Trump et Pence retourneront à la Maison Blanche lors d'une parade présidentielle le long de Pennsylvania Avenue, dont une partie s’effectue habituellement à pied.
Si le déroulé de la cérémonie est connu, l’ambiance demeure toutefois incertaine. Outre la pluie annoncée, qui pourrait décourager les moins motivés, certains manifestants anti-Trump ont promis de tout faire pour perturber l’investiture. Ils veulent notamment tenter de paralyser les barrages de sécurité mis en place tout autour du Capitole, et par lesquels doivent absolument passer tous les détenteurs d’un ticket permettant d’accéder au site de la cérémonie. Militant antifasciste, Gregory Johnson refuse de reconnaître la victoire de Trump. Mercredi soir, ce quinquagénaire est venu manifester sur le McPherson Square, à quelques centaines de mètres de la Maison Blanche. Il appelle à une révolution pour renverser le «régime» Trump, «totalement illégitime» et composé de «suprémacistes blancs, de xénophobes, de nationalistes et de misogynes». Il rêve du grand soir : « Pour empêcher Trump et Pence d’exercer le pouvoir, nous avons besoin de millions de personnes dans les rues, comme sur la place Tahrir en Egypte. » Ce jour-là, ils ne sont pourtant qu’une petite centaine, encadrés par les motos et les 4 × 4 de la police de Washington.
Pub sur Facebook
A en croire les habitués, un calme inhabituel règne d’ailleurs dans la capitale américaine depuis quelques jours. « Je m’attendais à avoir beaucoup de boulot cette semaine, mais franchement il n’y a personne, se lamente George, un chauffeur de taxi qui vit depuis quarante ans dans le Maryland voisin et a vu passer tous les présidents depuis Reagan. Ça n’a rien à voir avec l’atmosphère de l’investiture d’Obama, où on sentait déjà quelque chose d’électrique trois ou quatre jours avant ». En janvier 2009, une foule record de 2 millions de personnes avait envahi le Mall pour la prestation de serment d’Obama. Cette année, en dépit de la passion suscitée par Donald Trump au cours de sa campagne, nul ne sait combien de ses partisans - dont beaucoup vivent loin de la capitale fédérale - feront le déplacement. Les autorités disent attendre entre 800 000 et 900 000 personnes ce vendredi, une estimation prudente et comparable au million venu assister à la seconde prestation de serment d’Obama en 2013.
Visiblement inquiet d’une faible affluence, Trump a tenté ces derniers jours de rameuter ses troupes, achetant notamment des espaces publicitaires sur Facebook. « Cette inauguration est notre moment dans l’histoire américaine, et je veux que soyez avec moi le jour de l’inauguration. Cela va être tellement excitant », promet le milliardaire dans une vidéo publiée sur le réseau social. Fidèle à sa réputation de fabulateur, Donald Trump a prédit une «affluence incroyable, peut-être record». Un scénario peu probable pour un président qui entre à la Maison Blanche avec une cote de popularité historiquement basse : 40% d’opinions favorables contre 79% pour Obama début 2009.
Dans le magasin de souvenirs de 15th Street, en face de la Maison Blanche, la plupart des clients sont tout de même des pro-Trump, venus acheter tasses, tee-shirts, magnets à l’effigie du milliardaire, ou des casquettes «Make America Great Again». A l’entrée de la boutique, Jill, venue de Caroline du Nord pour la cérémonie, pouffe de rire en écoutant le «Trump pen», un stylo parlant qui débite les phrases chocs du milliardaire : «Mexico paiera pour le mur», «Nos politiciens sont stupides», «Je serai le meilleur président pour l’emploi jamais créé par Dieu». Elle repart finalement avec une écharpe Trump. Qu’attend-t-elle de lui ? «Je veux d’abord qu’il nettoie Washington de toute cette corruption. Le peuple américain mérite mieux.» Elle aimerait aussi que Hillary Clinton soit jetée en prison pour la gestion de ses mails. La rhétorique belliqueuse de la campagne électorale, à laquelle Jill a participé côté républicain, ne s’est pas dissipée. De chaque côté, le dédain pour le camp adverse perdure. Pour Jill, les manifestants anti-Trump présents à Washington ne sont ainsi que des mauvais perdants déterminés à gâcher la fête. «S’ils voulaient que Hillary gagne, ils n’avaient qu’à se bouger les fesses et travailler des milliers d’heures, comme je l’ai fait pour élire Donald Trump. Au lieu de ça, ils veulent venir ici, harceler les gens et être violents. Tout ça parce qu’ils n’ont pas bougé leurs fesses de fainéants», lance-t-elle, remontée.
Samedi, plus de 200 000 manifestants devraient déferler sur Washington. Partie d’une idée lancée sur Facebook par une retraitée hawaïenne, la Women’s March pourrait être une des mobilisations les plus importantes de l’histoire américaine. Outre les droits des femmes, de nombreuses causes seront représentées dans le cortège : défense des minorités, des musulmans et des immigrés illégaux, lutte contre les inégalités, protection de l’environnement. Au total, une trentaine d’associations ont reçu des autorisations pour organiser des rassemblements et des marches avant, pendant et après la prestation de serment de Donald Trump. Pour éviter de potentiels affrontements entre pro et anti-Trump, quelque 28 000 membres des forces de sécurité sont mobilisés et des kilomètres de barrières métalliques ont été mises en place dans le centre de Washington.
Mêmes méthodes
Sa victoire acquise, certains espéraient que le candidat Trump laisserait place à un président assagi. Mais après avoir mené une campagne inclassable, mélange guère subtil de nationalisme, de promesse d’autorité et de politique-spectacle, le milliardaire n’est pas rentré dans le rang. Si la période de transition offre un aperçu de sa présidence, elle n’est pas de nature à rassurer ses opposants.
En deux mois et demi, Trump a conservé les mêmes méthodes :
usage intensif de Twitter pour attaquer ses détracteurs, déclarations mensongères, hostilité affichée envers la presse, guerre ouverte avec les services de renseignement. Il a stupéfait la communauté internationale par ses déclarations approximatives, voire contradictoires, sur des dossiers diplomatiques sensibles (conflit israélo-palestinien, sanctions contre la Russie, avenir de l’Union européenne). Quant à son futur cabinet, Donald Trump l’a bâti à son image. Blanc, masculin, riche, vieux. Et très inexpérimenté. Le grand saut dans l’inconnu débute ce vendredi.
Frédéric Autran envoyé spécial à Washington
http://veja.abril.com.br/mundo/ativistas-distribuem-maconha-de-graca-em-protesto-contra-trump/
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