Le placebo le plus cher au monde est désormais autorisé à la vente en Afrique du Sud. Une décision qui soulève les inquiétudes des défenseurs du mammifère.
Il aura fallu des années de batailles judiciaires aux éleveurs sud-africains de rhinocéros pour l’emporter. Ils avaient déjà obtenu gain de cause en novembre 2015, et l’appel du gouvernement avait une première fois été débouté en mai 2016. Cette fois, c’est la bonne : la décision rendue le 30 mars par la Cour constitutionnelle de Johannesburg les autorise à faire commerce, à l’intérieur du pays, des très convoitées cornes du mammifère. L’interdiction était en place depuis un moratoire pris en 2009 par le ministère de l’Environnement. La Convention internationale sur le commerce des espèces menacées(Cites), qui interdit l’exportation de cornes de rhinocéros, reste en place. C’est une première depuis la signature de celle-ci en 1973 à Washington.
L’issue finale ravit Pelham Jones, le président de la puissante PROA, l’association des propriétaires privés de rhinocéros. Mais c’est avant tout pour sauver les mammifères que celui-ci justifie son enthousiasme. «Pas un seul rhinocéros n’a été sauvé grâce aux interdictions de vente de leurs cornes, avance-t-il. Ça n’a fait que créer un vaste marché illégal et transnational. On est très content que cette injustice prenne fin.»
Les propriétaires de rhinocéros mettent en avant une méthode douce pour prélever une partie de la corne des rhinocéros. Impressionnante, l’opération, à la tronçonneuse, serait, à les en croire, indolore pour le mammifère anesthésié. La corne, composée de kératine, la protéine présente dans nos ongles et cheveux, repousse ensuite de quelques centimètres par an.
Un juteux business
En dépit des diverses interdictions de vente, le braconnage de rhinocéros a explosé ces dix dernières années. Particulièrement en Afrique du Sud, qui compte plus de 70% des 29 500 rhinocéros encore en vie dans le monde. Alors qu’en 2007, seuls 13 mammifères y ont été braconnés, 1 054 ont été tués en 2016, soit une moyenne de trois par jour dans le parc Kruger, la plus grande réserve animalière d’Afrique du Sud.
Selon le Fonds mondial pour la nature (WWF), «le principal facteur qui explique l’essor de ce commerce est l’explosion de la demande au Vietnam. Elle serait due à la parution d’informations expliquant qu’un officiel du gouvernement atteint du cancer serait entré en rémission grâce à l’usage de la corne de rhino». Anticancéreux, aphrodisiaque ou simple médicament contre la fièvre et les maladies cardio-vasculaires, les vertus prêtées à ce morceau de kératine sont tenaces. Pourtant, aucune étude scientifique n’a jamais prouvé sa moindre utilité pour le corps humain. Mais pas au point d’empêcher l’utilisation abondante de la corne de rhinocéros par la médecine asiatique. L’essor d’une classe riche dans les deux principaux pays importateurs de cornes que sont le Vietnam et la Chine, ne permet pas de prévoir un tarissement de la demande.
«Nous ne souhaitons pas stimuler la demande, se défend pourtant Pelham Jones. Si le prix au kilogramme est de 60 000 dollars sur le marché noir et qu’on le vend légalement à 10 000 dollars, le commerce illégal ne pourra pas perdurer.» Et aucun risque, toujours selon lui, que des «cornes de sang», arrachées par les braconniers après avoir exécuté le mammifère, se retrouvent désormais sur le marché sud-africain. «Il faut avoir des permis et être capable de prouver l’origine de la corne, précise-t-il. Seules celles qui viennent d’une réserve privée ou d’un animal mort naturellement pourront être commercialisées.»
Défigurer pour sauver
Un avis peu partagé par les associations de défense du mammifère.«Les services répressifs de l’Etat ne seront pas en mesure de contrôler le commerce légal alors que le braconnage est déjà très élevé», estime le docteur Jo Shaw, responsable du programme rhinos chez WWF en Afrique du sud. La protection des rhinocéros, face à des réseaux criminels structurés, se chiffre en millions d’euros pour l’Afrique du Sud. Défigurer l’animal en lui retirant sa corne reste la méthode la plus dissuasive. Elle est malgré tout choisie par de nombreuses réserves en Afrique et même plus récemment en Europe. Suite à l’exécution d’un rhinocéros et au vol de sa corne il y a un mois dans le zoo de Thoiry, dans les Yvelines, le parc de Pairi Daiza en Belgique et celui de Dvur-Králové-nad-Labem en République Tchèque, ont préventivement coupé les cornes de leurs rhinocéros. Mais une telle mesure est bien plus difficile à mettre en place dans des endroits comme le parc Kruger et ses près de 20 000 kilomètres carrés. Les bêtes décornées y restent menacées, car elles conservent 10% de corne que convoitent toujours les braconniers.
Pour Susie Ellis, présidente de l’International Rhino Fondation, basée aux Etats-Unis, «la demande de cornes de rhinocéros étant très limitée en Afrique du Sud, il est difficile de comprendre pourquoi le commerce devrait être autorisé». L’histoire montre qu’une levée d’interdiction peut avoir des conséquences catastrophiques. «En 2008, la Cites a autorisé le Botswana, l’Afrique du Sud, la Namibie et le Zimbabwe à vendre 100 tonnes d’ivoire d’éléphant à la Chine et au Japon pour réduire la demande et détruire le commerce illégal, explique-t-elle. Mais c’est tout le contraire qui s’est produit et qui a provoqué la mort de plus de 30 000 animaux par an. Il risque de se passer la même chose maintenant avec les rhinocéros.» Enfin, la nouvelle régulation qui autorise l’exportation de deux cornes de rhinocéros par personne et pour un «usage personnel», envoie un mauvais signal. «Cela donne encore l’impression que la corne pourrait avoir une valeur médicale»,explique-t-elle.
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