Mardi, 20 heures. La déclaration solennelle de Carles Puigdemont vient de s’achever. Tout en proclamant officiellement l’indépendance,le président catalan en a «suspendu» immédiatement l’application et a prôné le dialogue. La foule massée devant l’écran géant dressé par le camp indépendantiste devant l’Arc de triomphe de Barcelone reflue sans montrer de signes d’enthousiasme. Libération a recueilli les premiers témoignages à chaud.

«Goût d’inachevé»

Rosa est laborantine dans l’industrie pharmaceutique. Elle confie ses impressions dans un café, une pinte de bière à la main. «La première idée qui m’est venue, c’est celle d’un coït interrompu, dit-elle. Le discours du président a un goût d’inachevé.» Autour d’elle, un groupe d’amis cinquantenaires, catalans – et indépendantistes – de «génération en génération». «On est un peu déçu, dit Maurici. Mais Puigdemont laisse la porte ouverte au dialogue, c’est très catalan.» Ces électeurs de la gauche républicaine catalane (ERC) espéraient «déboucher le cava [vin mousseux catalan, ndlr] ce soir. On va attendre un peu, ce n’est pas grave», poursuit Rosa. Son ami Maurici conclut : «On s’attendait à une journée historique, finalement c’est juste un jour de plus.»
Denise et Laura, 19 et 21 ans, portent un drapeau indépendantiste en guise de cape et se tiennent par l’épaule. Elles ont la mine défaite.«C’est l’incertitude qui domine, déclare la première. On attendait autre chose, c’est vrai. Mais nous faisons confiance à notre gouvernement [régional, ndlr], qui a déjà donné des preuves de son intelligence.» «Maintenant, c’est à Madrid d’accepter le dialogue, souligne son amie.De son côté, le peuple catalan montre sa capacité à combattre de façon pacifique, de ce point de vue nous sommes un modèle pour l’Europe.»

«A mon âge, j’ai des souvenirs de l’époque franquiste»

Monserrat Rodons, 65 ans, affiche pour sa part un sourire éclatant. «Je suis très heureuse. Vraiment. Une déclaration d’indépendance unilatérale et immédiate aurait comporté trop de risques. Ça aurait constitué un cadeau au gouvernement espagnol, un prétexte pour poursuivre en justice et emprisonner nos leaders. Le combat va être rude, Madrid va nous écraser, accumuler les mensonges. Aucune autre communauté autonome [région, ndlr] ne subit de telles brimades. Face à eux nous allons utiliser nos armes : manifester sans violence, et surtout expliquer qui nous sommes. Car on nous connaît mal.»
Antoni Blancart, 57 ans, se dit «dans l’expectative. J’attends d’y voir plus clair dans la position du président. Et quelle va être la réaction de Madrid. Ça ne me dérange pas d’attendre "quelques semaines" comme l’a dit Puigdemont, je pense même qu’il faudra un peu plus de temps pour que le dialogue se mette en place et qu’il remplace la violence. Vous savez, à mon âge, j’ai des souvenirs de l’époque franquiste. Ces souvenirs ont ressurgi brusquement le 1er octobre, avec la répression policière contre les votants».
François-Xavier Gomez Florian Bardou envoyés spéciaux à Barcelone