Une question glaçante flotte sur la campagne américaine à cinq jours du scrutin, alors que Donald Trump réduit son retard dans les sondages par rapport à Hillary Clinton : et si les Etats-Unis étaient bientôt gouvernés par un président fou ? Le candidat républicain fait régulièrement l’objet d’accusations de troubles mentaux. Fin octobre, c’est le polémiste Glenn Beck qui le taxait de «sociopathe», expliquant : «Je ne l’ai jamais vu affecté par le sort du moindre individu.» Au minimum, Trump serait un «narcissique», selon quelques spécialistes de la psychiatrie qui ne l’ont jamais rencontré et tirent leurs conclusions de ses discours publics - des diagnostics sauvages dénoncés par d’autres scientifiques.
Terrible perspective que d’imaginer un «fou» contrôler la première puissance mondiale ? Oui, il va sans dire. Mais, le plus étonnant, c’est que le scénario s’est déjà produit. Et même à plusieurs reprises. C’est ce qu’affirme une étude du Duke University Medical Center, en Caroline du Nord, publiée en 2006 par le Journal of Nervous and Mental Disease. Trois chercheurs ont passé au crible la biographie de tous les présidents américains entre la Déclaration d’indépendance de 1776 et la fin du mandat de Richard Nixon en 1974. Résultat : 49 % des chefs d’Etat «remplissent des critères suggérant des troubles psychologiques». La définition est large, regroupant aussi bien l’anxiété (8 %) ou la dépression (24 %) que la dépendance à l’alcool (8 %). L’étude relève par ailleurs des comportements bipolaires chez 8 % des présidents : John Adams, Theodore Roosevelt et plus près de nous Lyndon Johnson.
Dans la plupart des cas, la maladie a été parfaitement gardée secrète et le grand public n’en a jamais rien su. D’autant que - et c’est la conclusion la plus perturbante de notre propre recherche sur les présidents des Etats-Unis à travers les livres, articles de presse et autres études, qui nous ont permis de dresser une galerie de cinq portraits édifiants - un dirigeant politique peut produire un travail efficace malgré ce type de désordres. Voire grâce à eux. Le Dr Katherine Nordal, directrice de l’Association américaine de psychologie, a souligné le paradoxe auprès de l’agence AP : «Certains problèmes de santé mentale peuvent, en fait, contribuer à la grandeur» d’un individu.

Theodore Roosevelt (1901-1909) : un Teddy bear bipolaire

Theodore Roosevelt, portrait. 26th President of the United States, 27 October 1858 Ð 6 January 1919. After the oil painting by John Singer Sargent (1913). (Photo by Culture Club/Getty Images)
Photo Lebrecht. Culture Club. Getty Images
Un conte digne de Walt Disney : lors d’une partie de chasse, le président Theodore Roosevelt refusa d’abattre un ours sans défense. Depuis, son surnom est donné aux ours en peluche, les teddy bears. Dans ces conditions, difficile d’imaginer que ce personnage aux grosses moustaches débonnaires était excité par l’odeur de poudre. En vrai, un mélange de Vladimir Poutine pour son culte de la virilité et de Trump ou Reagan pour l’incantation impérialiste américaine.
Les chercheurs du Duke University Medical Center le classent «bipolaire de type 1». Ce qu’on appelait autrefois les «maniaco-dépressifs». Roosevelt lui-même revendiquait une «doctrine de vie énergique».
Il s’endurcit par l’équitation, la natation et la boxe. A la Maison Blanche, il défie un soldat et prend un coup qui handicape sa vision. Il dit : «Heureusement que c’était l’œil gauche, si c’était le droit je ne pourrais plus tirer.»
Roosevelt adore les terrains de bataille. Comme ministre, il avait conduit la guerre de 1898 contre l’Espagne. Après son mandat de président, il veut personnellement participer à la Première Guerre mondiale… Entre les deux, il flingue avec les mots. Un opposant est traité d’«humanitaire professionnel émasculé», un autre d’«hermaphrodite politique». Quant à son style de gouvernance, il est «proche du fascisme», analyse l’historien John Morton Blum.

Woodrow Wilson (1913-1921) : terrassé par les attaques

Woodrow Wilson (President 1913-1921) by F. Graham Cootes, 1879-1960
Photo Superstock. Rue des Archives
Freud s’est amusé à psychanalyser Wilson, le président américain en exercice pendant la Première Guerre mondiale. Il le trouve neurasthénique, nerveux, sujet aux migraines. A aucun moment le chercheur autrichien n’allonge le chef d’Etat sur son divan, il se contente de recueillir çà et là des informations sur lui. Freud décèle une «identification totale au père», pasteur protestant, ce qui reviendrait pour Wilson à se prendre pour le Christ… Mais même les disciples de Freud considèrent que cette analyse est ratée. Voilà le fond du problème : Woodrow Wilson est dyslexique et n’a su lire qu’à ses 12 ans. Puis il subit des attaques cérébrales à répétition. Ainsi, il perd peu à peu l’usage de certaines fonctions motrices et fait des crises d’angoisse.
En 1919, tandis qu’il se bat pour imposer le projet d’une Société des nations (future ONU), il est victime d’une nouvelle attaque. Pendant un an et demi, Woodrow Wilson n’est plus en état de voyager ou de tenir une grande réunion. Sa femme le protège. Un ministre trop curieux est viré. Déboussolé, le Président demande à son chauffeur de rouler doucement et d’arrêter les automobilistes qui circulent plus vite que lui. Malgré cette situation délétère, il faudra attendre 1967 pour que le Congrès vote un amendement permettant de démettre un président inapte au pouvoir.

Calvin Coolidge (1923-1929) : le sadique à la canne à pêche

Photo White House Historical
La grande dépression économique de 1929 aurait-elle été évitée si Calvin Coolidge n’avait pas souffert de sa propre dépression ? Le président républicain, partisan de donner des droits civiques aux Noirs, est brisé par la mort de son fils en 1924. Rien ne va plus à la Maison Blanche.
Lors d’une partie de pêche, Coolidge essaie sadiquement de planter son hameçon dans la main d’un de ses gardes du corps. Une autre fois, il omet de prêter secours à sa femme, qui s’est blessée toute seule avec l’embout de sa canne, il se contente de la regarder fixement. Il soupçonne son épouse de coucher avec un de ses officiers de sécurité, peut-être est-ce la raison de son comportement.
La scène la plus surréaliste se déroule un soir alors qu’il dîne avec Herbert Hoover, son secrétaire d’Etat au Commerce et futur successeur à la présidence. Soudain, Coolidge désigne le portrait de son prédécesseur John Q. Adams : «Vous ne trouvez pas que la lumière est trop vive sur la tête de M. Adams ?» Le chef de l’Etat décide de retoucher la toile : il prend un escabeau et noircit le tableau avec de la cendre.
Dépressif, il passait son temps à dormir. On estime qu’il ne travaillait qu’environ quatre heures par jour. «Mentalement perturbé», disaient les médecins de la présidence. Quant aux électeurs, ils n’ont pas compris pourquoi Coolidge a refusé de se représenter en 1929.

John Kennedy (1961-1963) : une politique sous médocs

Photo White House Historical
Pendant la campagne présidentielle de 1960, John Kennedy craignait que ses opposants mettent la main sur un objet compromettant : un de ses flacons de pilules qui le suivaient partout. Lui qui passait pour l’incarnation de la jeunesse était en piètre santé, consommant jusqu’à une dizaine de traitements par jour. Pour les maux de dos, la prostate, l’insuffisance des surrénales, les troubles du sommeil… L’escalade est dangereuse. Ainsi, comme il est déprimé par des antihistaminiques censés calmer ses allergies alimentaires, le Président bascule dans les anxiolytiques en décembre 1962. Pour tenir le coup, il reçoit aussi des stéroïdes et des amphétamines (la Ritaline). Ce cocktail a une influence sur son comportement. Et peut-être également sur sa politique.
Le psychiatre Nassir Ghaemi, qui a consulté les archives médicales, défend cette idée en 2011. Selon lui, la «débauche d’énergie» et «l’hypersexualité» de Kennedy (qui disait vouloir trois femmes par jour) sont des symptômes «cohérents avec le tempérament qu’on appelle l’hyperthymie», un état d’euphorie, une affection bipolaire. Or, quand les médecins baissent la dose des traitements, observe Nassir Ghaemi, cela «coïncide avec sa dernière année au pouvoir, quand sa politique change considérablement, quand il devient un partisan des droits civiques et le leader très résilient de la guerre froide».

Lyndon B. Johnson (1963-1969) : obsédé par son pénis      

Photo Elizabeth Shoumatoff
Le successeur de Kennedy avait un sujet de conversation favori : son sexe. Il lui avait même trouvé un nom : «Jumbo». Depuis une vingtaine d’années, les langues se délient autour de la verge présidentielle. On sait ainsi que dans les toilettes du Congrès, Johnson forçait les députés à admirer : «Vous avez déjà vu quelque chose d’aussi gros ?» En prime, il faisait tournoyer Jumbo sous leurs yeux. Les journalistes ont eux aussi été choqués : il urinait en plein air devant eux.
Un jour, il exigea que soit construite une nouvelle douche, avec un jet au niveau de l’entrejambe. Face aux réticences, il osa évoquer la guerre du Vietnam : «Si je peux bouger 10 000 soldats dans une journée, vous pouvez certainement arranger cette douche comme je demande !»Pour couronner le tout, Johnson convoquait son personnel lorsqu’il était sur le trône - littéralement. Certains, très gênés, détournaient le regard. Le Président faisait comme si de rien n’était et poursuivait la conversation.
Etait-ce une manière d’humilier ses collaborateurs ? Une pulsion exhibitionniste ? Catalogué comme bipolaire par le Duke University Medical Center en 2006, il inquiétait déjà à l’époque ses assistants, qui avaient sollicité des psychiatres à son insu. Tous avaient conclu à une «paranoïa destructrice», dans un contexte où les pacifistes se déchaînaient contre l’exécutif. Pauvre Jumbo !
Pierre Carrey